Non, il ne la sentait pas cette mission. Son instinct lui avait dit de fuir. De fuir les Elfes, alors que pourtant le même sang (bien qu’en moindre quantité) coulait dans ses propres veines. Seulement il avait été contraint d’accepter ...

Bien qu’étant un demi-Elfe, un hybride, il avait hérité de toutes leurs particularités. Toutes, sauf les oreilles pointues. Il n’allait pas cracher dessus, ces caractéristiques lui étaient plus qu’utiles et lui avaient permis de sauver sa peau un nombre indéfinissable de fois.

Mais c’était bien à cause du lien qui les unissait qu’Erya s’était toujours refusé d’exécuter quelque mission que ce soit dans la contrée des Elfes, ou bien touchant directement un Elfe. Et le Maître des Ombres semblait avoir eu la même logique de son côté, sans qu’aucune fois ils n’abordent le sujet, car il n’avait jamais eu ce type de mission. Et pourtant, l’assassin n’aurait jamais dû considérer ça comme un acquis. Rien n’était jamais acquis lorsque l’on faisait partie du Pacte.

En effet, il avait passé toute la journée à se sentir espionné et il avait ainsi passé toute la journée à se retourner pour tenter de démasquer celui qui le suivait de la sorte, mais sans succès. Cela l’avait énervé au plus haut point, et l’avait rendu de mauvaise humeur. La nuit-même, un papier fut glissé sous la porte de sa chambre à l’étage d’une auberge. Aussitôt, il se précipita pour ouvrir la porte. Personne.

Grinçant des dents et soupirant de frustration, il lut la lettre :



La marque d’une patte de chat trempée dans de l’encre faisait office de signature.

Sans aucun doute, c’était un message codé. Concrètement, on lui demandait d’espionner un partisan d'Haznard le Nécromant proche d’Ellenduil Glimben, Roi des Elfes. Et ce n’était pas n’importe quelle personne qui lui avait donné cet ordre, la marque de patte de chat indiquait qu’il émanait du Maître en tant qu’ordre direct, donc non refusable.

Le corps entièrement tendu à l’idée de sa prochaine mission, ce qui finit de l’achever fut le « Merci » en bas de la feuille. Il n’y avait jamais de remerciement en retour de mission. Cela ne pouvait être qu’un mauvais présage ...

L’assassin froissa le papier, jeta son sac sur l’épaule et quitta en vitesse de la chambre qu’il avait prise pour la nuit. Il ne pouvait supporter plus longtemps que le Pacte, et donc le Maître, ait réussi à le pister et à savoir exactement où il était à cette heure précise.




Et c’est ainsi qu’Erya se retrouva aujourd’hui au Manoir du Roi des Elfes. Il connaissait mal cette partie du monde. Il prit donc le temps de prendre ses marques avant de commencer quoi que ce soit.

Ce soir-là, il avait décidé d’explorer plus en détails le manoir. Le demi-Elfe avait visité la majeure partie de la demeure. Les pièces peintes en blanc se succédaient, meublées avec sobriété mais avec le plus grand des raffinements. Plusieurs fois, il avait hésité à dérober certains objets qui lui auraient garanti une vie paisible. Mais, fixé sur son objectif de mission, il les avait laissés derrière lui. Par contre, en fin de mission rien ne garantissait au maître des lieux qu’il ne les emmène avec lui.

Il passait donc de pièce en pièce, d’appartement en appartement, le plan du Manoir se dessinait au fur et à mesure dans sa tête. Pour l’occasion, il avait revêtu une tenue sobre, noire, qui ne le gênait d’aucune manière ainsi que son masque blanc et rouge, dissimulant tout son visage. Il était toujours sur le qui-vive : les Elfes étaient au mieux aussi silencieux que lui, au pire ils étaient au moins plus rapides que lui, le demi-sang.

Erya pénétra dans les appartements du supposé serviteur du Nécromant. Il fouilla le bureau, parcourant rapidement les documents à porté de main. Il passa ensuite à la chambre.

Tout à coup, il y eut des bruits de pas, puis de lutte au niveau des pièces qu’il venait de visiter. Il alla se cacher rapidement. Il ne fallait absolument pas qu’il se fasse remarquer. Le silence revint. Erya eut un mauvais pressentiment. Un silence pareil, il ne le connaissait qu’après un meurtre. Sortant prudemment de sa cachette, il revint sur ses pas pour jeter un coup d’œil.

Il s’arrêta au pas de la porte de la dernière pièce, le bureau. Sa cible gisait là, la gorge tranchée de part en part. Erya observa la scène rapidement. Les meubles avaient été renversés, certains brisés, la lutte avait été sévère. Les rideaux volant au vent, tels de grands fantômes, indiquaient clairement que l’assassin de l’Elfe avait pris la fuite.

D’autres bruits de pas le sortit de sa réflexion, mais son regard traîna un instant sur le sang qui tachait le sol du bureau jusqu’au couloir extérieur. La porte des appartements était ouverte sur le reste du palais.

Pendant un court instant, Erya croisa le regard du premier garde arrivé sur les lieux, alerté par les bruits et par le sang au sol. Le demi-Elfe fit volte-face et déguerpit aussitôt dans le sens opposé des gardes. Soit il était tombé dans un piège, comme un vulgaire débutant, soit c’était une étrange coïncidence, mauvais endroit, mauvais moment. Mais le fait est qu’il était le seul sur les lieux, face au corps sans vie de l’Elfe. Et pour ne rien arranger, il portait des vêtements sombres, était masqué et armé (ses deux dagues étant à sa ceinture).

- Halte ! Au meurtre ! Attrapez cet assassin !

Et voilà ! La relation avait été vite faite ... Il ouvrit les portes à la volée, il ne connaissait pas cette partie du Manoir. Gauche, droite, tout droit, encore à gauche. Dopé par l’adrénaline, il fonçait pour sauver sa peau, réussissant à conserver la distance entre lui et les gardes qui le talonnaient grâce à ses capacités elfiques. Il jura intérieurement. Comment avait-il pu se faire avoir de la sorte ? Il n’était pas novice en courses poursuites, mais là c’était la première fois qu’il se faisait courser par des Elfes, mais aussi et surtout la première fois qu’il se faisait courser alors qu’il était innocent !! Il est vrai qu’il n’était pas souvent innocent ... Mais tout de même !

Il parvint par on-ne-sait quel miracle à revenir sur un des couloirs annexes du Manoir qu’il connaissait. Il vira à gauche, manquant de peu de se prendre le mur. Il fallait qu’il s’échappe d’ici, et vite ! Les Elfes n’étaient pas les plus cordiaux en histoire de meurtre ... Il calcula mentalement tous les chemins qu’il pouvait prendre ainsi que les sorties possibles. S’il tournait à droite à la deuxième intersection, il pourrait sortir assez rapidement. Il accéléra, alors que les gardes commençaient à se rapprocher ...

Soudain, à la première intersection, quatre nouveaux gardes apparurent. Erya envisagea un court instant de les bousculer pour passer de force au travers, jusqu’à ce que les Elfes brandissent leurs armes. Jetant un coup d’œil aux deux gardes derrière lui, il jura de nouveau, ils avaient réussi à le prendre de revers. Le combat était inévitable, et la fenêtre à gauche n’était pas une sortie envisageable, vue la hauteur à laquelle ils étaient ...

D’un coup, il stoppa et fit volte-face vers les deux gardes derrière lui et dégaina d’un geste fluide et rapide ses deux dagues. Il parvint à blesser sérieusement  l’un des deux gardes et à repousser l’autre. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à ce retournement de situation. Les autres gardes accoururent vers lui. Cinq contre un, Erya savait qu’il n’avait que de minces chances de s’en sortir. Et pourtant, il se débattit férocement et parvint à causer pas mal de blessures. Son agilité mêlée à la rapidité de ses passes héritées des Elfes lui permettaient de mener le combat à vitesse égale à celle de ses adversaires. Cela sembla les déstabiliser un instant.

Mais la garde royale était connue et reconnue pour sa rapidité, ses compétences au combat ainsi que son endurance. Ils savaient qu’ils prendraient le dessus, mais il ne comptait pas se laisser faire pour autant.

Soudain, il sentit une présence derrière lui, et avant qu’il n’ait eu le temps de se retourner, il sentit une légère pression sur son cou. L’assassin s’immobilisa immédiatement, le souffle court suite à ce combat des plus inhabituels. L’un d’entre eux avait réussi à franchir sa ligne de défense et à se placer derrière lui. Enfin, l’une d’entre eux :

- Armes à terre, assassin ! Tonna une voix de femme dans son dos.

Furieux d’avoir été piégé de la sorte, Erya transperça du regard les gardes face à lui à travers son masque. D’un geste brusque, il lâcha ses dagues elfiques au sol, les faisant tinter contre le marbre. Ses chances de survie venaient de dégringoler à zéro, avec si peu de chances de remonter qu’il se voyait déjà mort, sûrement au bout d’une corde.

« Merci » avait dit le Maître.

L’Elfe derrière lui, car ça ne pouvait être qu’une Elfe, lui souhaita de ne pas être un Elfe, dans un murmure au creux de l’oreille. Erya ferma un instant les yeux d’impuissance et de colère contrôlée, colère envers lui-même, colère envers le Pacte et plus spécialement le Maître, mais aussi contre ces satanés Elfes. Il n’avait rien fait ! Il était innocent. Ce n’était pas lui qu’ils auraient dû arrêter ... L’Elfe était bien ironique, en tant que demi-Elfe, sa longévité était presque égale à eux. Mais ça peu de personne ne le savait.

Les gardes allaient l’emmener, sûrement dans un cachot quelques étages sous le niveau de la mer. L’assassin était déjà bien content qu’ils ne l’achèvent pas immédiatement. Mais peut-être pourrait-il profiter de ce moment pour tenter une fuite ? D’autant plus qu’elle voulait lui retirer son masque, seul rempart de son identité. Le souffle encore court suite au combat où il avait dû être constamment à son maximum pour éviter la mort, il se tenait prêt dès que la moindre opportunité se présenterait.

Mais il n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longuement que la pression sur son cou s’accentua considérablement. Il tenta de se dégager, mais l’Elfe tenait bon. Il n’arrivait plus à reprendre sa respiration. Cherchait-elle à le tuer immédiatement, ou simplement à le faire sombrer dans l’inconscience ? Des taches apparurent devant ses yeux, sa tête semblait sur le point d’exploser, et son cœur cognait fortement dans sa poitrine. Sa dernière pensée cohérente fut que pour tuer quelqu’un, il y avait des moyens plus efficaces et plus rapides. Puis le noir et le silence le happa.


Il revint doucement à lui, prenant garde à garder ses yeux bien fermés et à conserver la même respiration lente. Il se rappela rapidement les derniers événements. L’excursion qui avait mal tournée, la fuite puis le combat avec les Elfes. Et enfin la capture. L’assassin sentait le contact froid de la pierre contre sa joue. Il se trouvait donc dans un cachot, et n’avait plus son masque. Avant de faire quoi que ce soit, il lui fallait tout d’abord s’assurer de son état physique. Etait-il sérieusement blessé ? Pouvait-il engager un nouveau combat dès qu’il ouvrirait les yeux ? Ou bien était-il suffisamment en forme pour tenter une fuite ? Il sentit une douleur au niveau des côtes, et une autre sur l’épaule gauche, ainsi que d’autres blessures plus superficielles. On ne ressortait pas d’un combat avec des Elfes indemne ... Bon, pas sûr qu’il puisse tenter quelque chose.

Il tendit l’oreille pour tenter de savoir s’il était seul ou pas, mais les Elfes sont tellement silencieux même jusque dans leur façon d’être et de se mouvoir, qu’il n’était pas tout à fait sûr qu’il y ait plus d’une ou deux personne. En tout cas, il n’était pas seul. Il finit par ouvrir les yeux. Il cligna plusieurs fois des yeux afin que sa vision devienne correcte et s’adapte à la luminosité.

Le demi-Elfe ne connaissait pas cet endroit. C’était une petite cellule aussi blanche que le reste du château. Il lui semblait que de la lumière provenait du couloir, mais la cellule où il se trouvait n’était pas éclairée par une quelconque torche. Face à lui se trouvait une Elfe, à l’apparence peu aimable. Il fronça les sourcils, était-ce elle qui l’avait pris de revers avec sa vitesse ?

Il finit par se redresser doucement, serrant un peu les dents sous la douleur de ses blessures, et se retrouva assis le dos contre le mur du fond de la petite cellule. De son regard doré, il observa rapidement ladite cellule, bien qu’il n’y ait rien à observer. Celle-ci était totalement vide. Il n’y avait juste que l’Elfe qui le fixait ostensiblement, et lui. Il porta une main à ses côtes, s’assurant que la blessure n’était pas ouverte. Par contre, celle de l’épaule l’était bien. Il soupira. Il avait aussi des entailles sur le reste de ses bras.

L’Elfe demanda à être seule avec lui. Il fronça les sourcils. Qui était-elle ? Tout ce qu’il savait, c’est qu’elle semblait avoir autorité sur les autres gardes, qui s’en allèrent sans un bruit. Les motifs de sa venue ? Bien sûr les Elfes étaient des êtres francs et directs, ils ne s’encombraient pas de fioritures, comme semblaient s’amuser à le faire les humains.

Il répondit, sans vraiment répondre à l’Elfe mais avec cette pointe d’insolence qui le caractérisait. Il se doutait que le Maître du Pacte des Ombres n’ai profité de son petit message pour lui affecter un enchantement de mutisme sur sa mission. Ainsi il tenta de bien choisir ses mots :

- Je ne suis pas celui qui a tué l’Elfe. Votre assassin court toujours. Mais vous ne voudrez pas me croire et en attendant, il aura le temps de s’enfuir loin de votre château. N’est-ce pas ?

Les yeux de l’Elfe le fixaient. Sans un bruit, elle resta là derrière les barreaux à l’observer un instant. Les Elfes étaient réputés pour leur patience incroyable, le sang-froid, et le dénigrement total envers toute autre race que la leur. Alors Erya pensait sincèrement que l’Elfe face à lui le fasse dépérir ici dans cette petite cellule.

Puis, ce qu’il ne pensait pas possible se réalisa sous ses yeux, l’Elfe avait pris en compte ses propos. Il tenta de garder un air neutre en la regardant, mais il n’en revenait pas. Elle monta le niveau de sécurité dans le Manoir. Et Erya obtint une information supplémentaire, cette Elfe était capitaine. Elle était donc gradée. Non qu’Erya ait quelque chose envers cela, mais le respect silencieux des autres lui indiqua qu’elle était implacable dans ses ordres, et sûrement même dans sa manière de faire et d’être.

Le capitaine, donc, ne le lâchait pas du regard. Il ne remarqua qu’à cet instant qu’ils étaient vairons, l’un bleu et l’autre marron. Cela le déstabilisa. En effet, lorsqu’il était enfant, il ne trouvait pas cela normal. Pour lui, la normale c’était d’avoir des yeux qui, comme lui, changeaient de couleur sous l’assaut d’une forte émotion. Or, il s’avère que cette particularité est typique d’un clan maintenant au bord de l’extinction. C’était du côté maternel qu’il avait hérité de cette particularité. Du coup, lorsqu’il voyait une personne avec des yeux vairons, il pensait que la couleur des yeux s’était retrouvée bloquée ors du changement de couleur, et cela lui faisait peur.

Lorsqu’elle s’adressa de nouveau à lui, il comprit bien le sous-entendu de la menace dans ses propos, et il fronça un instant les sourcils tout en gardant le silence. Mais la suite le mit hors de lui. Etre gracié par le Roi des Elfes ? Non mais c’était quoi cette blague ? S’il le voyait face à lui celui-là, il n’était pas sûr que le Roi reste debout bien longtemps. Il ne ressentait pas de haine envers ce personnage, mais plutôt une rancœur profonde, ancrée en lui. Cet Elfe orgueilleux et égoïste n’avait esquissé aucun mouvement lors de la tragédie qui avait conduit au massacre de sa famille et à son enrôlement de force au sein du Pacte ! Pinçant les lèvres, il tenta de réfréner le flot d’injures qui voulait à tout prix sortir de sa bouche.

- Pour tout le bien que je pense de votre ... « Majesté » *il lâcha ce dernier avec un sourire de dédain, dans manque total de respect, puis il redevint sérieux et menaçant* vous pouvez me promettre tout ce que vous voulez, mais épargnez-moi cela.

Leurs mots semblaient résonner sur les parois de la cellule. Lui, au fond de sa cellule le dos contre le mur, et elle à l’abri derrière les barreaux. Elle le menaçait de le torturer s’il ne répondait pas à ses questions. Seulement, Erya espérait que le Maître ne lui ait pas fait cadeau d’un enchantement ... Il soupira. Pour souligner cette menace, elle alla jusqu’à briser une de ses flèches. Chose qui prenait tout son sens lorsqu’on savait qu’elle importance cela avait pour un Elfe archer. Le nombre de flèches dans son carquois était essentiel, mais aussi ces flèches étaient fabriquées une à une à la main. Et enchantées aussi parfois. Elles étaient essentielles à l’archer, car sans elles, l’archer n’est rien.

- Reprenons depuis le début. Je veux connaître les motifs de votre venue.

Le visage d’Erya se ferma. Que pouvait-il lui dire ? Qu’avait-il le droit de lui révéler ? Il était presque sûr qu’elle ne savait pas qui elle avait face à elle. Autant garder ça secret le plus possible. Si quelqu’un apprenait que c’était Shadden dans la cellule, il était sûr qu’il ne verrait plus jamais la lumière du soleil ... Il réfléchit à ce qu’il allait dire.

- Tout d’abord, sachez que je ne devais pas tuer votre « roi » *le ton du dernier mot était ironique* J’avais juste une mission de surv-...

Il ne put finir sa phrase qu’une douleur le transperça dans tout son corps, pendant quelques instants. Son visage se raidit et il se cogna brièvement la tête contre le mur derrière lui. Une fois la douleur passée, il soupira. Ça, il l’avait parié. Le Maître avait bel et bien mis un enchantement de mutisme sur son message, et apparemment Tyra, par on ne sait quel moyen, avait réussi à y faire inclure une illusion de douleur en même temps que le mutisme. Il jura à voix basse. Il plongea son regard dans celui de l’Elfe, essayant de lui faire comprendre son problème.

- Il semblerait que je ne suis pas libre de m’exprimer ...

L’Elfe devant lui ne sembla point étonné de le voir incapable de parler librement. Elle cessa simplement de jouer avec son bout de flèche cassée et sembla se plonger dans ses réflexions, laissant le silence s’installer autour d’eux. Erya n’y avait jusqu’alors pas vraiment prêté attention, mais il pouvait maintenant entendre clairement la chute rythmée et incessante de gouttes d’eau. Il ne pouvait pas les voir, adossé qu’il était dans le fond sombre de sa petite cellule.

Ce silence, simplement rythmé par le bruit des gouttes d’eau s’écrasant au sol, permit aussi au demi-Elfe de se poser sur sa situation périlleuse. Il avait été arrêté par les Elfes, qui pensaient (sans raison !) qu’il était l’assassin d’un de leurs membres : un partisan du Nécromant, mais seulement, le savaient-ils ? Avaient-ils eu la moindre once de suspicion sur ce personnage ? Pouvait-il le leur dire ? Et si oui, dans quelle mesure pouvait-il leur vendre les informations ? Et il se retrouvait là, privé de moyen de défense par le Maître lui-même. Il ne pouvait pas répondre à l’interrogatoire du Capitaine face à lui. Quelles chances lui restait-il avant la torture et la mort ? Il avait bien conscience qu’elles étaient infimes ...

D’un coup, son appel claqua dans le silence. Faisant râler doucement les autres prisonniers alentour. Erya pris conscience alors des autres, ils devaient être une petite poignée autour de lui dans d’autres cellules. Mais il n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps que la Capitaine continuait. Son masque ? Ce faux pas lui revint en mémoire. Il se retint de ne pas grimacer. Il s’était fait avoir comme un bleu ! Bientôt ils sauraient qui ils avaient capturés et il ne sortirait plus jamais de cette cellule. Et cette foutue blessure à son épaule qui lui lançait des éclairs de douleur ! Il se maudit une fois de plus.

Le demi-Elfe releva les yeux vers l’Elfe. Et bien qu’elle parlait peu fort, il l’entendait très bien. Il n’était pas un simple humain. Etant très peu en contact avec des Elfes, il ne fit pas attention à masquer cette simple particularité et cette pensée n’effleura même pas son esprit, qui relèverait ce détail quelconque ?

- Un oui et trois non. A vous de les remettre dans l’ordre. Répondit-il simplement sur un faible chuchotement, insolemment avec le faible sourire en coin qui allait avec. C’était la seule réponse qu’il pouvait lui apporter sans souffrir du maléfice.

Le voleur n’avait pas de plan, il ne savait pas comment il allait pouvoir sortir de ce guêpier ... Si cet Elfe ne s’était pas laissé enrôler par le maudit Haznard ! Une nouvelle menace, moins subtile. Il ne répondit pas, il connaissait ce mélange affreux qui arrachait la vérité à sa victime. C’était autant affreux pour son goût, que pour ses effets indiscutables mais tellement douloureux tant physiquement que psychologiquement. On avait l’impression de se faire arracher physiquement ses propres paroles ... Sa dernière expérience avait été traumatisante pour le demi-Elfe ... Ne désirant ni se rappeler, ni répondre, Il se contenta de l’observer avec une certaine animosité, ce fluide était pourtant interdit. Mais qui était-il pour la juger ? Lui qui bravait couramment tous les interdits possibles ... Il avait envie de grogner, comme Altaïr l’aurait fait, relevant avec une sauvage férocité ses lèvres supérieures. Il se retint de justesse. C’était sûrement la proximité qu’il avait avec le shadden qui lui donnait ces réflexes bestiaux, à moins que la cellule exiguë ne commence à lui rappeler son envie de liberté. Peut-être était-il autant Shadden que shadden ?

Et soudain, les Gardes se signalèrent de nouveau. La vérité fut dévoilée, c’était son masque, celui de Shadden. Le concerné retint son souffle, ne sachant comment réagir à cela face à eux, ces Elfes pouvant être très conciliant à propos de la nature, mais tellement fier et tranchants envers un être dit inférieur. Mais il n’eut pas le temps de réagir que d’autres le fit pour lui :

- Shadden ? Vous êtes fous ! Il ne se laisserait jamais prendre !
- Si Shadden était bien là, vous seriez déjà morts, et lui, parti déjà bien loin !
- S’il est là, tuez-le ! Tuez-le !
- On te dit qu’il n’est pas là ! Il se transforme en loup maudit et tue les gens d’un simple regard !
- Eventrez-le qu’on en finisse !
- Je connais bien Shadden, et à mon avis, il est bien plus malin que vous. C’est un vulgaire valet que vous devez avoir dans les cachots, hé hé !

Ces remarques s’accompagnaient de bruits de ferraille et coups sur les grilles, peu appréciables pour les oreilles fines du voleur. Elles l’irritèrent aussi, qui étaient-ils pour émettre de tels jugements. Impulsif, Erya eu l’envie d’en découdre avec les autres prisonniers, mais se maîtrisa. Rapidement, les gardes descendirent pour calmer les autres prisonniers.

Ce détournement d’attention avait failli lui faire rater ce petit dégagement de fumée noire qui sembla se détacher de son cou. L’enchantement venait certainement de se dissoudre.

- De quelle manière souhaitez-vous négocier maintenant ? chuchota-t-il avec la même insolence à l’adresse de l’Elfe.

En y réfléchissant, le léger dégagement de fumée ne pouvait qu’être uniquement lié à la révélation de son identité. Plus rien ne l’empêchait désormais de parler librement. Mais se taire était pour l’instant une meilleure option pour lui. Attendre. Attendre de voir ce que l’Efle face à lui avait à révéler, à annoncer, voire à lancer comme menace.

De nouvelles menaces subtiles vinrent. Il savait qu’il les avait provoquées avec son insolence. Mais il n’était pas à son aise parmi les Elfes. Ces traitres à la fois débordant de fierté non contenue, dangereux combattants contre lesquels il ne pouvait pas grand-chose et maintenant ils le croyaient coupable du seul meurtre qu’il n’avait pas commis ... et menaçaient même de le laisser croupir ici. Cela faisait tout de même un peu beaucoup. Il détestait cela. Il détestait sa situation actuelle. Il détestait les Elfes. Il tentait pourtant de maintenir sa rancœur, il devait sortir d’ici. Le sablier du Temps n’était pas le même ici qu’ailleurs. Ici les grains tombaient lentement, très lentement. Le Temps pour les Elfes n’avait pas la même signification que dans le reste des Terres d’Aëndryl. Le Temps n’était rien pour eux.

Puis la suite de ses paroles fut de trop. Erya n’en pouvait plus de se taire et de ne rien dire face à l’ignorance volontaire des Elfes sur cette famille (parmi d’autres) qui a été massacrée des dizaines d’années auparavant, à cet enfant qu’on laisse en offrande au Maître des Ombres. Et tous n’avaient pas survécu. Tout ça pour quelques Elfes à la fierté mal placée, et dont personne n’a fait état de cause. Personne n’a relevé ces drames. Personne n’a cherché après les disparus. Personne n’a rien fait. Aucun Elfe n’a daigné porter le regard sur ces familles mixtes pour la plupart. Les Hommes ne sont pas des créatures auxquelles les Elfes portent une attention. Aucun Elfe ne se préoccupe de leur sort, ni même le Roi.

Alors, cette Elfe face à lui, lui demandant de donner des informations sur Haznard, lui demandant un accord pour son propre bénéfice. Cela ne lui rappelait que trop les arrangements et magouilles des Elfes avec le Pacte des Ombres. La rancœur trop longtemps contenue depuis des dizaines d’années déborda. Il fallait qu’il crève cette boule noire qui le rongeait de l’intérieur. Et puis protéger son roi, puis quoi encore ? Protéger cet Elfe qui n’avait même pas daigné lever le petit doigt pour lui ? Une expression entre rage et colère se peignit sur son visage. Il se redressa face à l’Elfe et son ton se fit dur et froid.

- Vous êtes bien tous les mêmes, à vouloir toujours vous arranger avec le Pacte pour atteindre votre but. Ne savez-vous donc pas faire autrement ? Vous me dégoutez. Comme le reste de votre peuple, vous n’avez que faire des humains, des demi-sang et des hybrides. Vous faites massacrer ceux qui ne répondent pas à vos normes et donnez les enfants en tribut au Pacte, y a pas mieux pour la morale et la cohésion d’un peuple. Alors cessez de me raconter n’importe quoi, je ne suis pas de ceux que votre peuple daigne sauver !

Inconsciemment, peut-être cherchait-il à la mettre hors d’elle, pour voir ce qu’elle allait faire. Ce n’était clairement pas le type de réponse qu’elle attendait de lui. Cela allait sans doute le précipiter à sa perte. Mais être là, parmi eux, et l’entendre vouloir faire appel au Pacte. Il voyait rouge. Il ne supportait pas qu’il ait pu être traité de la sorte depuis tant d’années et que leur roi n’ai jamais rien fait. Il n’avait que faire des demi-sang.

- Et votre roi, si vous saviez ce que j’en pense, je lui planterais ma dague en plein cœur rien qu’au nom de son déshonneur et de sa traitrise ! Si ça avait été une mission sur sa tête, j’aurais certainement mieux réussi que ça, vous ne pensez pas ? Maintenant, si vous voulez me tuer, faites-le. Mais je ne viendrais jamais en aide à ce salaud !

Le menton en avant, le regard plein de rage, il faisait face à l’Elfe. La fierté héritée des Elfes était là, bien présente, sans qu’il n’y prenne conscience. Ce qu’il gardait au fond de soi, depuis si longtemps débordait alors qu’il était dans les sous-sols de la demeure de celui qu’il estimait pour responsable du meurtre de sa famille et de son enrôlement au sein du Pacte.