« Il sera bientôt temps pour toi d'accomplir ta destinée, Amalys.
Mais prépare-toi, le danger n'est plus très loin.
Il te faudra outrepasser la vie et ses vices.
De nombreux obstacles te barreront le chemin.
Ne te laisse pas abattre,
N'arrête jamais de combattre.
N'aie confiance qu'en tes instincts.
Il est temps à présent pour toi de suivre ton destin. »

Le ciel commençait à se teinter d'orange et de rouge, le soleil encore endormi commençant à parsemer ses rayons vers les nuages dorés et plutôt nombreux en ce matin hivernal. Néanmoins, le vent froid faisaient fuir ces petits moutons célestes vers le Nord, annonçant un léger redoux pour la journée. À peine éveillée, la jolie féline ailée alla puiser un peu d'eau pour se laver avant de revêtir sa robe de sortie. Celle-ci était plus légère et courte que sa tenue de prêtresse. Il s'agissait de deux bandeaux croisés sur son buste pour dissimuler sa poitrine et repassant sur son ventre avant d'aller se nouer dans son dos. À cela, elle ajouta une sorte de longue jupe, ouverte sur les côtés pour laisser paraître le braie (sorte de pantalon s'arrêtant à mi-cuisses) afin de garder une bonne liberté de mouvement tout en respectant les codes de son rang d'Oracle. Le tout de couleur blanche tandis qu'une petite ceinture tressée maintenait sa taille. Elle noua ses cheveux en une longue tresse lâche qui laissait tomber quelques mèches de cheveux sur son visage.

Une fois prête, elle sortit de l'auberge où elle avait couché et noua une cape toute aussi immaculée sur ses épaules afin de ne pas prendre froid. Elle se promenait dans les rues de cette petite ville qu'elle ne connaissait pas encore. Elle était arrivée la veille, à pied, comme toujours, ayant marché trois jours sans manger. Elle avait donc vite trouvé un endroit où se sustenter et se reposer un peu.

Un peu plus loin, elle entendit un enfant pleurer et se tourna vers la source du bruit. Elle s'approcha alors, repérant un flux trouble et légèrement rouge. Elle devina alors qu'un enfant s'était blessé. Par ailleurs, sa mère appela rapidement aux secours et la jeune prêtresse se dirigea vers eux sans la moindre hésitation. Elle offrit un sourire à la mère du blessé et sans un mot, se pencha. Elle ôta sa propre cape et l'enveloppa dedans pour le porter.

- Conduisez-moi chez vous, je vais m'en occuper, madame. Lâcha-t-elle sur un léger ton ferme.

En quelques minutes, ils atteignirent la demeure modeste de la fermière qui semblait complètement atterrée. Évidemment, cela pouvait paraître étrange de voir une furry s'intéresser à un simple humain. De surcroît, cette furry semblait ne pas regarder vraiment les gens, avait les yeux de couleurs différentes et ne s'était même présentée avant de soulever de toute sa frêle force un petit garçon déjà âgé de onze ans.

Amalys déposa l'enfant sur un lit et réclama des serviettes humides et quelques pansements. Pendant ce temps, elle passa ses mains sur la plaie pour l'identifier et ferma les yeux pour mieux concentrer son pouvoir sur les flux mêmes qui composaient la blessure.

- Comment t'es-tu fait cela, mon garçon ? Demanda-t-elle sur un ton concentré.
- Je... Je suis tombée de la cha... charrette, ma Dame...
- Je vais te faire un peu mal mais c'est normal. Ne t'inquiètes pas, tu vas guérir.

Elle sentait que l'os était cassé et que la plaie avait l'air plus impressionnante qu'elle ne l'était en réalité. Elle posa une main sur le front du jeune garçon pour le rassurer et replaça l'os dans l'angle correct avec un craquement sinistre. Il hurla de douleur et sa mère arriva en trombe mais la prêtresse lui fit signe de rester en arrière. Doucement, elle passa ses mains sur la plaie pour la guérir partiellement. Elle pouvait guérir les plaies mais pas ressouder les os, ne maîtrisant pas assez son pouvoir pour cela. C'est pourquoi, elle prit les tissus propres et les enroula autour de la jambe du garçon. Elle lui fit ensuite une attelle et sortit un flacon de sa sacoche.

- Voilà, Madame. Donnez-lui ceci dès qu'il a mal. Il ne devra pas marcher pendant une vingtaine de jours. Je peux soigner les plaies mais pas ressouder complètement les os. Mais rassurez-vous, j'ai tout replacé, il ne boitera pas et pourra courir comme un cabri d'ici deux mois, elle lui adressa enfin un sourire. C'est un garçon courageux.
- Merci Ma Dame... mais puis-je vous demander qui vous êtes et ce que je peux faire pour vous remercier ?
- Appelez-moi simplement, Amalys. Et je ne veux rien. Norke guide mes pas et aujourd'hui, il m'a conduite à vous pour que je vous offre mon aide. C'est lui qu'il faudra remercier.

Elle s'inclina respectueusement et sortit de la petite maison. L'hôtesse des lieux la suivit et celle-ci l'interpela de nouveau.

- Je vous remercie du fond du cœur d'avoir soigné mon enfant, mademoiselle Amalys ! Sans vos dons, je crains qu'il n'aurait jamais pu marcher à nouveau !

De nouveau, Amalys s'inclina avec respect et poursuivit son chemin dans les rues de Cirdan.

Après quelques minutes, elle entendit de nouveaux hurlements et s'arrêta brusquement. Quelqu'un appelait à l'aide et elle chercha la source de ces appels pendant quelques instants avant de repérer un flux plutôt mal en point accompagné d'un autre relativement sombre. Elle se dirigea lentement vers eux, bien que son instinct lui indiqua un mauvais pressentiment. Avec la vision qu'elle avait eue cette nuit, Amalys devina qu'il lui faudrait se méfier constamment dans les jours à venir. elle se fraya un chemin dans les badauds qui commençaient à s'ammonceler autour du duo.

- Je peux vous aider, héla-t-elle à l'adresse des deux comparses. Conduisons-le à l'auberge là-bas. Je vais m'en occuper.

C'était bien la première fois qu'elle se retrouvait aussi solicitée en étant restée hors des hospices. Elle ouvrit le chemin jusqu'à l'auberge, somma son propriétaire de prêter rapidement une chambre. Celui-ci ne chercha pas à comprendre, voyant la jeune femme et sa tenue, il n'y avait pas vraiment de doute sur son rang. Tout du moins, pour quelqu'un qui connaissait un peu les ordres. Elle fit installer le blessé sur un lit et lui déchira son vêtement pour pouvoir toucher et palper la plaie. Cela ressemblait à une blessure d'arme. Elle s'enquit alors de quelques détails auprès de celui qui l'avait porté jusque là et réclama des tissus propres à l'aubergiste, ainsi que de l'eau chaude.

- Que s'est-il exactement passé ? Avec quoi a-t-il été blessé ?

Elle entreprit de palper, faisant geindre le malade, pour voir si un organe vital avait été touché. Auquel cas, elle ne pourrait rien faire. Ses yeux aveugles fixaient le vide mais chacun de ses gestes étaient experts et aucune maladresse ne se faisait sentir dans ses doigtés. Elle savait exactement ce qu'elle faisait.

L'aubergiste apporta les tissus propres et la jeune prêtresse nettoya la plaie avec délicatesse. Heureusement, aucun point vital n'avait été touché, pas même l'intestin et elle en était rassurée. Elle entreprit alors de concentrer sa magie dans ses paumes et les posa doucement sur la blessure pour progressivement la réparer. Il aurait une cicatrice mais au moins, il ne s'était pas vidé de son sang.

Elle se redressa en inclinant légèrement la tête aux remerciements des deux comparses. Ceux-ci ne lui inspiraient aucune confiance, il fallait bien l'avouer et la jeune demoiselle n'avait pas besoin de les voir pour deviner qu'ils ne devaient pas être très nets. Néanmoins, la mort n'était méritée de personne et si ces hommes s'étaient trouvés sur son chemin, c'est que la Grande Déesse l'avait décidé ainsi.

Elle s'intéressa enfin aux flux des deux hommes. Celui qu'elle avait soigné était légèrement trouble, du fait du choc de la blessure mais elle pouvait distinguer qu'il était relativement terne et sombre, indiquant ainsi que cette personne n'était pas des plus fréquentables. L'autre, par contre, attira davantage son attention. Il flamboyait d'un éclat brillant mais noir, à l'instar d'une obsydienne. Vous savez, cette pierre d'un noir si intense mais brillante à la fois, cette roche qui ensorcele vos yeux lorsque vous l'observez longuement. Et bien, le flux de cet inconnu avait la même consistance, l'exacte réplique de ce côté envoûtant. Son flux était obsydienne. Elle n'avait jamais vu cela jusqu'alors. Hypnotisée par cette étrange aura, elle tenta de la décrypter mais fut coupée par la reprise de parole de ce drôle d'énergumène.

Elle refusa poliment le "dédommagement" (ces mots sonnaient étrangement faux et maladroits dans la bouche de cette crapule) d'un signe de la tête avant d'ajouter :

- Je ne demande rien en échange. La vie de votre ami est ma seule récompense.

Insistant, il l'invita à manger sur son bateau. Elle secoua de nouveau la tête et s'inclina dans une légère révérence.

- Je refuse, Messire. Je ne trouve aucun intérêt à recevoir lorsque je donne. Dit-elle avec une certaine pudeur. C'est Norke qui m'a guidée vers vous. Il n'y a aucune autre raison à mon aide. Je ne fais qu'obéir à mon maître.

La jolie féline sentait le malaise monter en elle. Quelque chose chez ces deux êtres mettaient tous ses sens en alerte et lui indiquait presque de fuir. La cécité avait développé ses autres sens et ses instincts. En effet, la Nature dans son humble générosité permet à ces êtres infirmes de la vue d'acquérir naturellement un meilleur odorat, meilleure ouïe, toucher, goût et d'accroître ce légendaire sixième sens que l'on prête habituellement aux animaux.

Or, il était clair que ces deux gars ne lui inspiraient aucune confiance. Il fallait qu'elle s'en aille rapidement et qu'elle mette vite de la distance entre elle et eux. Ils avaient un navire, des pirates ? Voulaient-ils la détrousser ? Ils feraient une bien mince affaire car la jeune femme n'avait tout bonnement aucun sou. Elle vivait de ce que les gens lui offraient naturellement pour avoir les grâces de Norke. Voulaient-ils la vendre comme esclave ? Jamais elle ne se laisserait attraper. Les furries n'étaient point si dociles et elle la première !

Toutes ces questions lui tournaient dans la tête au point de lui donner une boule au ventre. Elle inspira profondément et s'inclina de nouveau.

- Bien, Messires, à présent que ma tâche est accomplie, je vais prendre congé, dit-elle humblement, ne laissant paraître aucun signe de panique. Je vous souhaite une agréable journée et bonne chance pour vos voyages.

La prêtresse sortit plutôt rapidement de la pièce et remercia tout aussi vite le patron de l'auberge avant de sortir du bâtiment. Elle frissonna brusquement, se souvenant qu'elle avait oublié sa cape chez la fermière un peu plus tôt. Elle grimaça légèrement en se disant qu'elle était de totues manières maculée du sang du garçon. Il lui en fallait une nouvelle. Elle se dirigea vers le marché et trouva rapidement une marchande de tissus.

- Bonjour, Madame, je recherche une cape blanche, plutôt chaude et longue, munie d'un capuchon.

Sans attendre, la vieille dame se chargea d'aider la prêtresse à trouver son bonheur. Cape qui lui fut offert gracieusement par cette marchande tandis que Amalys lui proposait de guérir un peu la douleur de ses lombaires.

Les deux comparses avaient déjà disparu de la mémoire de la naïve féline. Mais à quel prix... ?