Le clapotis des sabots sur la terre rocailleuse brisait le silence des lieux d’un rythme régulier. S’élevant du sol, çà et là des ruines survivaient au temps : vestiges de murs d’enceinte, anciennes habitation, temples…  Parmi les échos du passé marchait un chevalier solitaire accompagné d’un âne brun gris tirant une petite charrette remplie d’objets et recouverte d’une bâche salis par la poussière des voyages. Beraht avait tombé son armure d’ossement pour une brigandine renforcée, bien moins lourde et plus pratique pour le voyage. Cela lui permettait également de se balader aux quatre coins du royaume sans trop attirer l’attention sur lui. Un homme à l’allure miteuse portant de lourdes plaques d’os faisait toute même tâche dans le paysage ! Cependant il avait gardé son vieux tabard rouge et blanc car il pouvait ainsi cacher son visage au monde en remontant sa capuche. C’est donc visage voilé qu’il marchait en flattant le flanc de l’animal qui l’accompagnait.

Marchant depuis longtemps, il voulut s’accorder une pause ainsi qu’à l’animal. Il trouva ce qui devait être un petit pilonne de pierre pour attacher sa bête avant de décrocher le chariot. Massant le dos de l’animal, il observa l’endroit et se fit la réflexion que le silence et l’âme des lieux était propice à l’entrainement et la méditation. Il fouilla sous la bâche et en extirpa plusieurs épées de bois bien ficelée en un ballot. Il en sortit une et la soupesa. Elles avaient été lestées par un forgeron rallié à la cause qu’il servait avec Nymphéa. Sa destination finale était gardée secrète mais la montagne des dieux n’était plus si loin.

Il fit quelque pas dans ce qui était autrefois une petite placette où trônait une petite fontaine depuis longtemps asséchée. Il fit quelques moulinets en se passant l’arme d’une main à une autre. Fermant les yeux il commença des exercices de respiration. Au rythme de son souffle il se mettait en condition pour l’entrainement. Il ferma les yeux et entama une série de mouvement que les siens répétaient sans cesse. Le bois sifflait dans l’air à chaque coup. Il variait le rythme et les positions tantôt frappant d’estoc, tantôt de taille. Il fut cependant gêné par un léger bruissement. Etait-il seul ?

C’était peut-être la conjonction des sphères ou un signe d’intervention divine mais ce qui était sûr c’est que Beraht ne s’attendait pas rencontrer un homme lézard. De nombreux animaux ou phénomène naturel aurait pu causer le bruissement qu’il l’avait perturbé mais il n’en était rien. Relâchant la tension de ses muscles il abandonna sa posture martiale pour rendre les salutations d’usages. Il leva la main et l’accompagna d’un simple mais efficace ‘bonjour’. La montagne était un lieu plutôt hostile pour un simple voyageur égaré, aussi celui-ci devait avoir quelques compétences. Il avait l’air de quelqu’un qui était habitué aux voyages. Il venait peut-être d’horizons que Beraht n’avais vu que dans des livres d’images. Mais que venait-il faire dans ces ruines ? Les choix étaient multiples et le chevalier ne pouvait pour l’heure pas distinguer les intérêts ni les intentions du lézard.

« Effectivement cet endroit est bien loin d’une place de marché gorgée de monde. Je suis également surpris de parler à quelqu’un au milieu de ses vieilles pierres ! »

Il déposa son épée d’entrainement sur les vestiges de l’ancien bassin entourant la fontaine asséchée. Il prit grand soin de dissimuler son visage, toujours à l’ombre de sa capuche. Un homme encapuchonné se battant seul contre le vent dans la montagne étant déjà quelque chose d’inquiétant, autant ne pas lui imposer de vision de l’enfer au premier échange en lui imposant les stigmates portées par son visage. Il retourna doucement vers son chariot où il sortit une grande outre d’eau en peau et un gobelet grossièrement taillé dans du bois. Soufflant dans ce qui allait lui servir de verre, il en dégagea la poussière avant de le présenter à l’homme en face de lui, lui proposant à boire.

« Vous voulez vous rafraichir ? Je l’ai tiré d’une petite rivière en bas de la montagne. »

Sur ses mots il fit sauter l’ouverture de son outre et versa un peu d’eau claire. Il but une ou deux gorgées avant de s’appuyer contre sa charrette, bras croisés, regardant dans la direction de l’inconnu. Aucun des deux ne s’était encore présenté. Le chevalier allait remédier à cela à sa façon à lui, à la fois formelle et informelle.

« Je me nomme Beraht. »

Le lézard refusa l’eau. Le chevalier, compréhensif, haussa les épaules. Accepter de l’eau d’un inconnu louche et encapuchonné pouvait passer pour du suicide (ou de la profonde stupidité, c’est au choix). Aussi Beraht termina son verre avant de l’essuyer dans son tabard poussiéreux. Faisant fi de l’anxiété qui semblait se dégager de son compagnon, il lui tourna délibérément le dos et rangea le récipient  sous la grande bâche qui recouvrait sa charrette de bois.

Il ne pouvait pas en vouloir aux personnes qui devenaient nerveuse en sa présence. C’était l’histoire de sa vie. Que ce soit les zébrures bleutés qui recouvraient son visage ou la capuche, tout le monde se sentait mal à l’aise. Il haussa les épaules. L’autre gars se rendrait bien compte que le chevalier miteux n’était pas hostile. Il suffisait de ne pas donner de raisons aux autres de le craindre pour qu’ils montrent un peu de gentillesse.

Finalement le lézard se présenta à lui sous le nom de Tresh. Beraht s’amusa de la façon dont le nom sonnait effectivement très serpentin. Le chevalier lui signifia qu’il était « heureux de faire sa connaissance » selon la formule adaptée à ce genre de rencontre. Puis ses yeux revinrent sur les épées de bois. L’idée de s’entrainer un peu avec un adversaire s’imposa dans l’esprit du bretteur. Il se tourna alors vers Tresh pour lui proposer quelques passent amicale avec les armes d’entrainement. Cela faisait un certain temps qu’il ne s’était pas battu contre autre choses que le vent !