Le soleil se levait, une nouvelle fois. L'on pouvait dés lors voir les éclats orangés de ses rayons traverser la lucarne qui étaient la seule réelle source de luminosité dans la cellule qu'occupait Gabriel. Levant le regard vers ce "trou dans le mur", Gabriel expira longuement.

-"Merci à toi, tisseuse de vie, pour cette journée de plus que tu nous accordes. Puisse-t-elle être riche, et nos ennemis encore trembler sous ton regard..."

Les mains accompagnèrent les paroles dans un geste où le soldat vint toucher son front, à la fois en guise de respect mais aussi en signe solennel. Ce n'était peut-être pas ainsi que tout le monde faisait chez les Adorateurs, mais il n'était pas adorateur après tout. Il était surtout reconnaissant. Reconnaissant à Lorlina pour ce qu'elle avait fait, et pour ce qu'elle ferait surement encore. Assis ainsi dans sa cellule, il avait eu loisir de voir et de revoir cette intervention de la dragonne face aux forces démoniaques d'Abbadôn, et le regain de courage que cela avait su insuffler à l'armée autour de lui.

Ses mains retombèrent aussi, dans un cliquettement de chaines, et ses coudes se reposèrent sur ses genoux. Ces éclats de soleil étaient significatif d'un jour de plus dans sa cellule, une journée à ne pas savoir ce qui allait advenir de son âme. Serait-ce aujourd'hui qu'il serait jugé ? Et si oui par qui ? Dans une nouvelle respiration, Gabriel chassa ces questions de son esprit, attendant simplement, comme à chaque jour, que sa pitence lui soit apportée, et avec peut-être des nouvelles sur la situation. Cette dernière chose, il fallait le reconnaitre, dépendait du garde en lui-même. Pour autant, Gabriel ne blamait pas la méfiance que l'on pouvait avoir à son égard, car dans les faits, il avait tué son capitaine. Ce genre d'actes n'inspirent pas, en l'occurence, un état d'esprit propice à la confiance.

La porte s'ouvrit, mais à la différence des autres jours, ce ne fut pas un garde qui entra, mais trois. Trois d'une autre compagnie que la sienne. Les avisant alors qu'ils parvenait à la porte de la cellule, Gabriel se contenta seulement de dire :

-"Alors c'est aujourd'hui..."

Les trois hommes s'armèrent de lance et d'épée avant d'ouvrir la porte et de sommer l'humain de sortir de sa cage de fer. Et dans un nouveau bruit de chaines, Gabriel se leva et s'enquerit de les suivre. L'un d'entre eux ouvrit la marche, Gabriel le suivant en second et surveillé par les deux autres se tenant en queue de procession. Ils sortirent du centre carcéral pour se diriger vers un endroit auquel ne se serait pas attendu : le bureau de la Générale Eresëa. Alors ce serait elle. Son sort était entre les mains de la plus haute autorité des Veilleurs.

Le premier garde rentra, et ferma la porte derrière lui. Probablement pour annoncer qu'ils étaient prêts. Il ne restait plus qu'à attendre. Attendre d'être invité à entrer. Derrière cette porte, épaisse, il y avait le destin de Gabriel.

Il ne fallut pas longtemps à la porte pour se rouvrir, et la suite s'enchaina. Gabriel entra, et quelques secondes plus tard, sans même qu'elle daigne lever le regard pour analyser la situation, la Général ordonna aux gardes de sortir. Un coin de sourire se dessina sur le visage de Gabriel, tant cela était révélateur de la personnalité de la Louve face à lui. Elle n'avait pas peur, ne doutait même pas une seconde d'un éventuel danger. Certes, le prisonnier qu'il était gardé ses chaines, mais elle aurait pu se méfier. Pourtant, elle ne doutait pas.

-*Intéressant* pensa Gabriel, alors que les gardes s'éxécutait finalement.

Et à peine sorti, elle leva enfin la tête. Le sourire en coin de Gabriel avait disparu, et son visage était redevenu aussi impassible qu'à l'habitude. Il écouta simplement Luva, avec attention, pour saisir chacun des mots qu'elle employait. Elle voulait sa version des faits. Etait-ce surprenant ? Peut-être un peu. Mais cela voulait-il dire qu'Eric, l'homme qu'il s'était employé à protéger cette nuit là en prenant son tour de garde, était mort depuis. C'était possible. Lors de la bataille qui avait suivi, Gabriel l'avait vu tomber.

-"Je suis accusé de la mort de mon Capitaine, de mon mentor et de mon recruteur. Conséquence directe du fait que mon épée a mis fin à son existence."

Il était les trois. Celui qui avait choisi et recruter Gabriel, pour ensuite demander qu'il rejoigne son escouade et l'entrainer, dirigeant de la dite escouade. En des temps si sombres, le crime n'en était que plus grave, cela, le Soldat le présumait. Il fallait un certain instinct pour être nommer recruteur, une certaine pédagogie pour transmettre son savoir, et une certaine prestance pour commander une unité. Des trois, Gabriel ne pouvait penser qu'avoir approcher l'une des ses capacités d'en sa vie, et en comprendre la difficulté, alors qu'avant son enrôlement chez les Veilleurs, il avait pris la responsabilité de soutenir sa mère dans la gestion des biens de sa propre maisonnée.

Même si les mots pouvaient semblaient empreint de défiance, le ton de Gabriel était monocorde, calme. Il n'avait cherché qu'à résumer les faits au mieux, sans chercher à les altérer d'un propre point de vue, ni de sentiments. Et il continua sur ce ton, après quelques secondes de silence, gageant que la dirigeante des Veilleurs ne s'en contenterait pas.

-"Les attaques ennemies devenaient de plus en plus pertinentes, structurées, organisées. Elles étaient précises. Cela, vous le savez. Beaucoup d'entre nous envisageaient l'impensable : un traitre dans nos rangs. Ce n'était pas mon travail, et je n'avais pas d'autorisations pour ça, mais je me suis intéressé à la chose quand j'ai remarqué un détail : je faisais partie d'une compagnie qui n'était jamais touché, ou alors par des attaques étrangement moins organisé que ce que contait nos compagnons."

Durant cette période, l'évidence lui avait frappé aux yeux. Ce qui semblait terrible dans les récits de ces frères d'armes était pour lui si habituel que cela en devint étrange. Étrange au point de mener une petite enquête, de soupçonner ce qui, à l'époque, il espérait faux.

-"La vie m'a appris que si le mot trahison existe, la trahison ne peut venir que de ceux dont on est proche. La famille, les amis,..."

L'espace d'un instant, c'est le cri d'une enfant dans son lit que Gabriel entendit dans son esprit, avec le visage de son frère qu'il revit, couteau à la main et vêtements sanguinolent sur lui. Ce passage de sa vie avait définitivement était un moment pivot dans son existence, créant chez l'humain une part importante de son propre caractère.

-"La précision de ses attaques remontaient à après le rétablissement de mon capitaine de son séjour à Barad-Bâl. Alors je me suis posé des questions. Cette nuit-là, mes doutes s'étaient de plus en plus confirmés, mais je n'avais toujours rien de précis. Pourtant, en me mettant à la place de l'ennemi, j'aurais fait quelque chose cette nuit-là. Alors j'ai suivi ce que mon instinct me disait. J'ai échangé de poste de garde avec le soldat en faction, et j'ai attendu."

Prévenir qui de droit aurait été une possibilité, mais sans preuves tangibles, Gabriel aurait été d'une part refoulée, et ensuite surveillé par son propre Capitaine, qui aurait eu vent des doutes d'un élément de son unité au moyen d'un rapport. Il y avait aussi la possibilité de faire confiance à Eric, mais le jeune garçon était trop jeune pour faire face à un Capitaine d'unité. Gabriel savait que cela pouvait se finir ainsi, il savait que ses choix pourraient le mener à la potence, que c'était une éventualité, et l'avait accepté.

-"Mon Capitaine n'aurait jamais du se trouver là. Les démons qui ont suivi peut-être, mais pas lui. La suite, quoi que vous en disiez, je pense que vous la connaissez. Le Capitaine est mort, je l'ai trépané et j'ai brulé ses yeux afin que ni son esprit ni ses globes oculaires puissent servir un quelconque noir dessin. Et j'ai fait face à des démons jusqu'à l'arrivée du Soldat que je remplaçais et d'une relève de garde, qui ont trouvé mon acte suspect."

Inutile de demander s'il regrettait son acte, la réponse s'entendait dans la voix qu'il arborait.

Il avait raconté, et elle avait résumé. A merveille, il fallait bien le reconnaitre. Simple, concis, précis... Et cela même alors qu'elle reconnaissait avoir encore des interrogations en suspens. Mais la suite effaca tout reste de sourire à Gabriel, laissant au fasciés de l'humain un air profondément marqué d'attention quant à chacune des paroles qui furent prononcées ensuite.

Le coté sanction, il pouvait parfaitement s'y faire. Pour autant, il n'allait pas laisser les paroles de la Générale sans réponse. Ce n'était pas défiant qu'il est, bien qu'elle pourrait aisément le prendre ainsi sans qu'on lui en veuille, comme à quiconque, mais bien parce qu'il l'a respecté peut-être plus que beaucoup chez les Veilleurs.

-"Jugement et mort... Vous intéresser... Une sanction..."

Les trois groupes de mots sortirent à intervalles régulières, sans même que Gabriel ne décroche son regard de la Louve qui lui faisait face. Dans un nouveau cliquetis de chaine, une main se porta sur sa poitrine et l'humain déclara alors :

-"J'accepte mes actes et leurs conséquences depuis toujours. Je n'ai cure d'une sanction, sans vous offenser."

Et cela même si ça venait à signifier le pire ou l'inimaginable. Ce n'était pas réellement que ça lui était égale, mais c'était surtout par honneur pour le nom que son père lui avait légué. Assumer ses choix, ses actes, quoi qu'il en coûte, c'était presque une devise familiale. "Lorsqu'il faut, il faut..." disait toujours le vieux Bacater maintenant décédé.

-"Mais il est sot de croire que j'avais décidé de l'issue de ce combat. La vérité, comme je vous l'ai dit, est que j'avais un doute, et ce doute s'est concrétisé cette nuit-là. Je ne dirais pas que j'ai pensé à un moment le juger, ni même que j'ai pensé à un moment à lui laisser la vie pour qu'il comparaisse devant un tribunal."

Mais ... Car il y en a toujours un, c'était ce qu'il s'était produit. La lame de Gabriel avait eu raison de son adversaire, et face à cette éventualité, Gabriel avait choisit de recourir à des pratiques drastiques pour empêcher toutes récoltes d'informations. Avait-il agi ? Absolument pas ! Il n'avait que réagi.

-"Ces mêmes doutes encore incertains, sans preuves tangibles, m'empêchaient de venir voir qui que ce soit. Venir vous trouver ? On ne m'aurait jamais laissé vous approcher. Et puis, qu'est-ce qui m'assurait que je pouvais vous faire confiance plus qu'à un autre."

C'était direct, c'est vrai. Gabriel avait entendu parler de la Générale en face de lui ; et pourtant, malgré tout ça, c'était franc. Il ne la connaissait pas personnellement, et n'allait donc pas sacrifier un temps devenu précieux sur le moment pour boire le thé et faire connaissance à la manière de sa mère.

-"Supposons en plus que j'en aurais parlé, ma cible se serait méfiée de moi. Ce choix était contre-productif, qu'importe le sens dans lequel je le regarde."

Dès lors, regrettait-il d'avoir du "juger et mettre à mort" ? La réponse était évidente : Non ! Quant à savoir s'il recommencerait dans pareilles situations, à nouveau la réponse s'imposait : A n'en pas douter, un oui catégorique ! Parce que derrière sa lame, il y avait ce qu'il protégeait : un peuple, une civilisation, un monde tout entier, et son honneur.

-"J'ignore pourquoi vous n'êtes pas au courant de Barad-Bâl, mais ne croyait pas qu'il y a été de gaieté de coeur. Mon capitaine, d'après ses propres récits, y a été emprisonné. Il s'en serait évadé, ce qui, maintenant, est un exploit parfaitement explicable. Pourquoi son propre capitaine de l'époque n'en a pas fait rapport, à supposer que ce soit le cas, je n'en ai aucune idée. Pas plus que je n'ai de réponses à vos autres questions. Je recevais mes ordres de mon capitaine d'unité, et je faisais partie de l'unité dites des "Loups". Je crois que son supérieur est un dénommé Languil, mais sans certitude."

Il ne s'y était jamais intéressé, car ce n'était pas là sa place ni même son envie. Il était soldat, et jusqu'à une future promotion, son travail consistait à exécuter les ordres, et à protéger Aëndryl.

-"Puis-je cependant vous demander à quoi m'attendre quant à la sanction que vous évoquiez à l'instant ?"

Certes, la sanction l'importait peu. Mais il voulait savoir. Ne serait-ce que pour pouvoir répondre à une question : garderait-il sa tête sur les épaules ?