Redleaf, comme après chaque séance de chasse, était allée vendre son butin au marché de Londë. Aujourd'hui, elle en avait tiré un bon prix et en avait profité pour s’acheter quelques fruits et un peu de fromage – cela serait son repas pour le soir. Tout en choisissant les pommes les plus mûres, elle réfléchissait. Cela faisait un moment qu’elle pensait partir des plaines de Berdeas. Il est vrai que l’elfe menait une vie simple et calme, mais certaines questions qu’elles se posaient demeuraient toujours sans réponse. Il fallait qu’elle parte. Eärwen – son véritable prénom, qu’elle n’utilisait désormais plus – en avait assez de fuir la réalité. Oui, elle avait abandonné tout le monde. Sa famille, son peuple, tout ce qu’elle connaissait étaient désormais derrière elle.

Après la mort d’Aredhel – Eärwen, en y pensant, écrasa une pomme dans sa main –, cela lui avait semblé la seule solution.

« Fuir, je ne sais faire que ça... », pensa-t-elle.

— Vous allez les prendre ces fichues pommes, ma p’tite dame? ... Et bien évidemment, vous allez payer celle que vous venez de réduire en bouillie, lança le maraicher.
— Oui... euh... désolée, dit Eärwen après quelques secondes d’hésitation.

Elle mit les pommes dans sa besace et paya le vendeur, tout en s’excusant.
L’elfe continua de déambuler entre les allées qui composaient le marché de Londë. Elle scrutait chaque endroit, chaque personne, chaque parcelle de ce qui était maintenant sa nouvelle vie.

« Nouvelle vie... Depuis trop longtemps, tout ceci est ma nouvelle vie... Peut-être que je ne m’y ferai jamais vraiment » se dit Eärwen.

Elle pensait repartir de zéro et peut-être devenir heureuse, mais en réalité, Eärwen se sentait encore plus vide que le jour où elle passa le portail d’Éther. Rien n’avait changé, elle se sentait mal. Tout ceci n’était qu’une mascarade, un mensonge. Pourquoi ne pas s’être présentée en tant que Eärwen Hawkeye? Pourquoi avoir choisi un pseudonyme? Pour oublier? Eh bien, cela n’avait pas marché du tout.
Eärwen passa devant la taverne de Londë, où des gens venant de tous les horizons venaient pour boire un verre ou pour faire affaire. Elle y entra et s’assit sur un tabouret, près du comptoir en bois miteux.

— Red, la chasse a été bonne? lui lança le tenancier.
— Correct. J’en ai tiré un bon prix.
— Tu veux quoi?
— De la bière, s’il te plait.

Voilà à quoi ressemblaient les échanges de Redleaf avec d’autres personnes. Très succincts. Le tenancier lui servit sa pinte et s’en alla à d’autres affaires – qui voudrait parler à une porte de prison, sérieusement?

Même si un elfe peu vivre-quasi éternellement, il ne fallait plus attendre. Eärwen but la dernière gorgée de sa pinte, laissa l’argent sur le comptoir et partit sans se retourner. Elle fit un détour chez elle, pour prendre quelques affaires. Elle vivait au rez-de-chaussée d’un petit immeuble de deux étages. L’appartement était très rudimentaire, mais cela lui suffisait. Eärwen se refusait à toute chose inutile. Elle attrapa ses dagues, rechargea son carquois et pris quelques restes de nourriture. Puis elle se tint debout au milieu du salon. Les deux chaises ainsi que la table étaient dépareillées. Les lattes du lit, au fond de la pièce, étaient presque toutes défoncées et le matelas était troué. Elle sourit. Elle avait l’étrange impression qu’elle ne reviendrait jamais ici et ne reverrait jamais les habitants de Londë.
Eärwen sortit et ferma la porte derrière elle. Elle se mit en route pour le portail.