Le chevalier entra et prit soin de refermer derrière lui. Devant lui se tenait la reine, presque présentable. On eut dit qu’elle s’était chamaillée ou battue avec quelqu’un, ses vêtements étaient presque défais et ses cheveux complètement trempés. Tournant la tête vers la pièce d’à côté, il entrevit la baignoire et comprit qu’elle venait en réalité de s’habiller en toute hâte. Quelques seconde plus tôt et il l’aurait vu dans le plus simple appareil ce qui, bien qu’il l’aurait fait par inadvertance, lui aurait surement valu d’être condamné à mort. Elle s’était déjà vexée parce qu’il avait mentionné son expérience en utilisant son âge. Il n’osa pas imaginer comment elle aurait réagis dans pareil cas… Surtout qu’il venait pour s’excuser de l’avoir froissée.

Il fit un pas en avant et remarqua que le rouge était monté aux joues de Nymphéa. Il détourna le regard et remarqua dans quel accoutrement il avait pénétré dans la chambre. L’esprit accaparé par son comportement, Il avait laissé tout son attirail à côté de son lit et n’avait traversé le couloir vêtu uniquement de ses bottes et de son pantalon. Peut-être qu’inconsciemment il tenait à mourir ce soir pour être venu avec si peu de convenance ?

La princesse pouvait à loisir observer son corps changeant, consteller de tâches bleuté qui recouvraient aléatoirement son corps, partageant l’espace de peau disponible avec de multiples cicatrices blanchâtres et hideuses. Depuis son cœur, toutes ses veines irradiaient et étaient colorées en noirs, les artères couleur bleu nuits. L’une des plus sombres remontait le long de sa gorge et décolorait une partie de son visage. Elle semblait déverser sa noirceur d’huile dans la scléra de ses yeux aux iris jaunes et perçant. Une larme perla et sa gorge se serra, il ne put déglutir. Paraitre ainsi le dégoutait et son apparence si vile rebuterait surement sa compagne. Singeant la reine, il se saisit également d’un linge pour se couvrir. Mort de honte, il n’arrivait plus à la regarder en face. Son regard se posait tantôt à droite tantôt à gauche comme si il évitait de se poser sur elle. Il fit alors volte-face et se saisit violement de la poignée de la porte. Mais il venait pour lui dire ce qu’il avait sur le cœur, il ne pouvait pas partir ainsi, sans explication. C’est la tête baissée qu’il réussit à articuler quelques mots.

« Je… J’étais venu… M’excuser pour tout à l’heure. Pardon d’avoir osé… Paraitre ainsi… Je suis vraiment désolé Madame. Ce n’était pas quelques chose à dire... Ou à faire devant une reine…»

Il serrait nerveusement la poignée de la porte lorsqu’il sentit quelque chose de doux et de chaud se poser sur son épaule. Presque instantanément, il relâcha les muscles de ses doigts et lâcha la poignée. Nymphéa lui posa doucement sa cape sur les épaules avant que le chevalier ne se retourne vers elle. Refusant toujours de la regarder, de peur peut être de voir dans ses yeux son propre reflet, il se contentait de fixer un point vers le plafond. Il perçut le contact de Nymphéa comme un point brillant sur sa peau. Trop longtemps il n’avait respiré que de la poussière, mais elle dégageait un agréable parfum. Son malaise s’accrut et sa respiration s’emballait à mesure que sa main remontait vers sa joue. Il n’arrivait pas à se calmer, il manquait d’air. Honteux, il baissa la tête lorsque celle-ci effaça une larme de son visage. Il ouvrit alors ses yeux qui ne pouvaient plus se maquiller d’indifférence.

C’est là qu’il plongea son regard dans les prunelles écarlates de la reine qui le fixait. Il regarda intensément ses pupilles et surtout son reflet, le reflet de son visage, le reflet de ses yeux dans les siens. En rouge, en noir, ils exilaient sa peur.  Il devait monter plus haut que cette montagne de douleur. Montagne qui lui paraissait si insurmontable quelques secondes plus tôt… Dans cet instant pour une fois, afficher son cœur ? Il rompit alors le contact. Il remua lentement la tête de droite à gauche pour répondre à sa question.

« Non… Enfin plus maintenant. Mais je sens toujours en moi. A chaque battement de cœur. Ce n’est pas… Physique. C’est plus comme… Enfin… Ce n’est plus la vie qu’il véhicule mais un poison. »

Il était vraiment proche d’elle, ou elle trop proche de lui. Il n’avait plus l’habitude d’une telle proximité avec qui que ce soit. Il esquissa difficilement un sourire gêné sur ses lèvres bleutées. Elle avait peut-être senti son mal être car elle s’écarta, laissant libre sa bulle d’espace personnel. Il respirait de nouveau, libéré du poids de la honte. Il sera un peu plus la cape noire contre lui et rejoignit la reine devant la fenêtre. Il gardait les bras croisés, tenant la longue étoffe.

« Vous n’avez rien à vous faire pardonner. Je ressemble à un chevalier mais c’est vous qui n’arrêtez pas de me soutenir depuis notre rencontre. D’abord dans la taverne ou vous avez renversé tous ses hommes d’un mouvement du bras puis dans la clairière où vous m’avez écouté sans me jugez. Pendant le repas vous m’avez rappelez à quel point il était important de se battre pour ce qui est juste… Et à l’instant, vous ne sembliez pas dégoutée par ces stigmates repoussants… »

Il recula. Beraht était fort secoué par les émotions qui avaient afflué dans sa soirée. Il rencontra le lit et s’y assit lentement, s’aidant d’un bras pour ne pas tomber. Appuyant les coudes sur ses genoux, se pencha en avant et croisa les mains derrière sa tête. Il tentait de digérer tout ce qu’il avait vécu.

« Tout à l’heure… Vous aviez dit que vous étiez monstrueuse. Mais quand… Quand je vous regarde… Je ne vois aucun monstre. »

Le chevalier redressa la tête lorsqu’il sentit Nymphéa s’assoir à côté de lui. Il sourit à la reine. Son âme était tout aussi abimé que le corps de Beraht. Il s’était tellement persuadé d’être quelqu’un de vil que son reflet ne lui inspirait que dégout et nausée. Mais il avait trouvé une personne pour le conseiller. Avec elle, il se sentait capable de se pardonner. Il se sentait beaucoup moins seul à présent. Il ressentait quelque chose de fort à son égard, après ce soir, il lui faisait véritablement confiance. Une personne capable d’autant se détester et d’accepter sa punition comme elle ne pouvait être foncièrement mauvaise. Elle avait sans doute fait des erreurs, mal conseillé par la colère et la peine. Mais si elle avait raté son premier rôle de reine, elle incarnerait une magnifique souveraine lors de son prochain couronnement.

Il se pencha vers elle et ouvrit ses bras. Ses mouvements étaient un peu tremblants, sans trop d’assurance. Il posa délicatement sa main sur le haut de ce bras bleu et noir et attira un peu l’elfe vers lui. Là encore il oublia toute déférence que l’on se devait d’avoir en face d’un membre d’une royauté mais ils n’étaient plus un chevalier et sa reine cette nuit-là. Ils étaient deux somnambules courant à travers une forêt noire et menaçante. Deux bêtes blessées qui avaient trouvé l’un dans l’autre quelqu’un pour penser leurs blessures. La proximité ne le dérangeait plus.  Maintenant ils connaissaient chacun les luttes et les faiblesses de l’autre.

« Je mettrais un terme à votre combat. C’est plus qu’une simple promesse. Plus… Plus jamais vous n’aurez à hisser le drapeau de la colère. Vous avez aussi droit à un peu de tendresse… Je… J’ai le sentiment que nous pouvons… Afficher notre cœur, sans crainte d’être blessé. Vous pensiez votre punition était méritée, mais une punition n’est jamais éternelle. Elle ne peut servir de leçon que si une autre chance nous est accordée… Je peux vous dire en toute sincérité que vous mérité la confiance que l’on vous porte. Que je vous porte.»

Il resserra son étreinte sur l’elfe. De sa main libre il replaça derrière une oreille une mèche de ses longs cheveux flamboyant qui lui tombait sur le visage. Il passa ensuite sa main autour d’elle. La fatigue commençait à le gagner mais c’était une bonne fatigue, celle qui rend le sommeil vraiment réparateur. Il ferma les yeux et laissa une goutte salée glisse le long de sa joue, étincelante dans les rayons de la lune.