L'aube.

Proprement revêtue de son armure de service, Thiriswarth leva paisiblement la tête, yeux fermés, vers les rayons de lumière rasante qui parvenaient à pénétrer dans les immenses salles du Manoir. Ce-dernier n'était déjà plus endormi depuis longtemps, et pourtant le silence, dont profitait intensément l'elfe, planait encore où qu'il eût été possible d'aller : c'était un peuple discret, et aucun d'entre eux n'aurait souhaité rompre le calme qui régnait. Ce jour-là cependant, la fraicheur matinale allait inévitablement laisser place à l'agitation.

La porte des quartiers de la garde s'ouvrit brusquement à son côté ; le temps passé à savourer la douce chaleur des rayons était révolu. Désormais, le travail commençait.  Un autre garde sortit, puis les deux elfes vinrent se placer côte à côte sans même prononcer un mot. La garde royale exigeait une aise totale de ses soldats dans l'immobilité et le silence, et il n'était clairement pas question de bavasser lorsque le sérieux était de mise. Thiriswarth ajusta son brassard de cuir, puis releva la tête.

"Allons-y."

Sans un bruit, les deux gardes commencèrent alors leur chemin ensemble à travers les longs couloirs de la demeure du Roi. Leur pas était assuré, mais néanmoins d'une légèreté hors du commun, comparable à celle d'une feuille de Mallorn venant s'échouer sur un tapis de mousse. Et si tous deux n'en disaient pas le moindre mot, ils connaissaient pourtant leur destination commune : les geôles du Manoir.  D'escaliers en escaliers, le sous-sol se fit finalement atteindre. Il y faisait lourd, humide, et la caresse si agréable des rayons de soleil qui déjouaient les tonnelles n'était plus. A cet étage, les pierres de la bâtisse tentaient simplement d'empêcher la nature de reprendre ses droits. Les deux elfes pivotèrent cérémonieusement avant de s'arrêter devant une cellule. A l'intérieur,  un de leur semblables se terrait dans un coin, assis recroquevillé sur les pavés froids. Il avait été emprisonné pour trahison, avant qu'on ne décide de son sort, et attendait la venue de son procès devant le Conseil et le Roi lui-même. Thiriswarth jaugea le prisonnier un instant à travers les stries de la porte. Ses cheveux étaient sales, sa peau bien plus pâle que celle, déjà très claire, arborée habituellement par les elfes, et il trainait vêtu de haillons qui semblaient avoir autrefois été une tenue en tissu classique. Maigre comme il était, il avait aussi dû refuser toute la nourriture qui lui avait été servie depuis plusieurs jours. L'autre garde prit les devants. Une main attrapant les barreaux cuivrés de la geôle, il la déverrouilla de l'autre, et entra se saisir du captif. Thiriswarth, elle, demeurait immobile, à l'entrée, et observait la scène se dérouler sous ses yeux de son air détaché.

"Pitié, non ! Ne m'emmenez pas au procès, laissez-moi vous expliquer !"

Elle leva le regard.
"On ne discute pas avec les traîtres", répondit-elle.

Ses mots résonnèrent dans sa tête quelques secondes, se maudissant, se haïssant pour avoir osé les prononcer, jusqu'à ce que les deux hommes soient hors de la cellule. Dans un grincement noyé sous l'agitation du détenu, elle referma la porte et vint le saisir par l'autre bras pour le conduire, plus de force que de gré, jusqu'au Conseil.
Elle savait qu'une fois le prisonnier entré, ce serait le Roi, qui pénètrerait dans la salle, majestueux, et presque flottant. Bien qu'étant le seul à avoir connaissance de son passé, il ne se permettrait pas même de lui adresser un regard, et passerait la porte de son air royal, la laissant là à garder l'entrée.